Entretien avec Mathieu Orléan, collaborateur artistique à la Cinémathèque française de Paris.
Interviews
Lors de ma recherche, je suis allée rencontrer des professionnels afin de m’enrichir de leur expérience. J’ai ainsi pu rencontré Mathieu Orléan et Maciej Fiszer.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste le rôle du collaborateur artistique ?
Mon rôle consiste à être en charge artistiquement des expositions temporaires de la Cinémathèque française. Je m’occupe plus de la partie artistique et parfois d’une partie commissariat. Je suis, à peu près une fois tous les deux ans, commissaire principal de certaines expositions. Et le reste du temps, cela peut être à géométrie variable, c’est-à-dire parfois je suis collaborateur d’un autre commissaire qui serait invité. C’était le cas, par exemple, avec Jean Paul Gaultier qui était le commissaire principal pour Ciné mode. Avec lequel j’ai pu travailler en fonction de ses exigences, ses goûts, de ce qu’il envie de raconter. Et parfois à égalité, en étant par exemple, co-commissaire avec Alexandra Midal pour l’exposition Top secret. Certains commissaires extérieurs peuvent être très autonomes, comme Clémentine Deroudille pour l’exposition Romy Schneider.
Lorsque vous endossez le rôle de commissaire, comment définissez-vous les thèmes abordés dans vos expositions ?
Alors, moi je peux venir avec des propositions, mais le choix de la programmation et de l’éditorialisation finale est le domaine de la direction générale. Réunis avec Agathe Moroval et Frédéric Bonnaud, le directeur général, nous échangeons nos idées, on regarde les expositions internationales qui pourraient venir à Paris. Mais la décision finale reste du ressort de la direction générale.
Vos expositions abordent surtout des rétrospectives d’acteur.rice ou de réalisateur.rice. Est ce que c’est une volonté de la cinémathèque de réaliser des expositions rétrospectives ? Cela est peut être plus attractif pour le public que de réaliser des expositions thématiques ?
C’est vrai que la monographie avec la notion d’auteur, comme dans les autres musées, est très présente dans nos expositions. Cela permet de penser le cinéma. Nous avons des auteurs très forts. La monographie est une ligne éditoriale primordiale. C’est pour cela que nous avons fait beaucoup de monographies, de Jean Renoir, à Michelangelo Antonioni à François Truffaut. Après, il faut quand même savoir comment nous allons les raconter. Forcément, la monographie ne résout pas tous les problèmes et on peut les aborder de manière totalement différente à chaque fois. Par exemple, l’exposition sur Gus Van Sant avait un parcours organisé par médium avec une partie sur la photo, sur la peinture, sur la musique… A l’inverse, pour l’exposition sur Jacques Demy, on a fait une exposition chronologique parce que sa vie à une dramaturgie particulière. Il y avait une chronologie qui nous semblait intéressante. Nous commençons la première salle avec sa naissance et nous finissons par sa fin de vie et sa disparition. Et dernier exemple, avec l’exposition de Martin Scorsese, où la on a réalisé un parcours thématique avec des parties plus techniques, historiques, son rapport à la ville … Chaque monographie est formée de différentes manières. Mais c’est vrai que nous avons voulu diversifier nos propositions, alors depuis 2005 on a conçu des expositions plus transversales et thématiques, avec des expositions comme Le cinéma et l'expressionnisme, Les mômes et le cinéma, Vampires, Espionnage… Il y a quand même eu une dizaine d’expositions plus thématiques et non monographiques.
Pensez-vous que la monographie est un principe qui fonctionne et qui est plus demandé par le public ?
Oui peut-être, après ce n’est pas notre critère principal. Forcément, lorsqu’on imagine une exposition, on s'applique à ce qu’elle soit le plus lisible possible au public et qu’elle plaise. Mais on cherche surtout à faire quelque chose qui ait un intérêt artistique et intellectuel, en espérant que le public se reconnaisse. C’est difficile parfois de savoir si le public va aimer ou non. Et puis, c’est sûr que la monographie c’est plus instinctif, c’est comme aller voir une exposition rétrospective comme l’exposition sur Rothko à la Fondation Louis Vuitton, une rétrospective de tel ou tel peintre. Quand cela devient thématique, peut être qu’il y a des perditions parce que le public ne connaît pas forcément le thème en question, et que cela demande un peu plus de clarification (entre autres au moment de la communication).
Maintenant, si nous nous intéressons aux éléments exposés. Vos expositions possèdent des expôts diversifiés : des extraits vidéos, forcément, mais aussi des affiches, des dessins, des objets, des costumes, des photographies… Comment choisissez-vous les expôts et est-il important pour vous de les diversifier ?
Le départ de tout cela c’est le scénario de l’exposition. Tout dépend du scénario choisi, pour certaines expositions on est purement sur le cinéaste au travail donc ça va être principalement de l’extrait de film, des affiches, des photos, des archives, du storyboards … Donc on reste vraiment sur la fabrication des films. Et sur des expositions monographiques, il y a parfois un rapport à l’histoire de l’art car des réalisateurs ont été artistes eux-même, comme Scorsese qui a fait des photos ou encore les dessins de Tim Burton qui outrepasse la frontière des films. Tout d’un coup, il y a un hors champ du cinéma que seul l’exposition peut montrer avec des photos, dessins originaux. Ainsi, nous choisissons de montrer l’univers artistique dans lequel le cinéaste a pu grandir. Et personnellement, je trouve que les expositions les plus intéressantes sont celles qui mélangent toutes ces strates. Il y a une certaine hétérogénéité à la Cinémathèque, et même plus parfois que certaines autres expositions qui exposent que des tableaux d’un peintre. Alors que chez nous, il y a de l’original, de la production, du décor, de l’affiche, de la photo, de l'œuvre d’art, du son … C’est diversifié mais il faut quand même créer une certaine uniformité avec tout cela.
Vous avez parlé de décors, est-ce que la reconstitution de décors est un moyen de communication que vous utilisez beaucoup dans vos expositions ?
L’utilisation de décors dans les expositions doit faire sens. Nous ne pourrons jamais mimer le cinéma, car il a des moyens économiques que nous n’avons pas. Donc il ne s’agirait jamais de recréer réellement des décors, mais plutôt de les recréer sous forme d’évocation. Que par la lumière, par les motifs, ce soit une évocation. Par exemple, avec l’exposition Kubrick, nous avons créé des espaces où le visiteur a l’impression d’être dans le bar d’Orange mécanique grâce à certains objets de décors, comme le papier peint, mais sans le reconstituer à 100%. Il faut trouver un lieu fort du film, le représenter et le travailler avec le scénographe pour que ce ne soit pas cheap. Mais il faut que ce soient un espace ou deux, mais pas une exposition entière comme ça.
Comment travaillez-vous avec le scénographe ? Imposez-vous des éléments de scénographies comme les évocations de décors par exemple ?
Alors, la Cinémathèque n’a pas de scénographe interne, nous faisons des appels à projets. Nous échangeons beaucoup avec le scénographe, c’est un processus assez lent et très quadrillé. Mais l’intention d’avoir des évocations de décors se fait dès les premières étapes, ce sont quand même des éléments importants dans la narration de l’exposition.
Pour revenir à l’utilisation de la vidéo dans vos expositions, est ce que vous mettez en place une méthodologie, comme un quota, pour son utilisation dans l’espace ?
Non, il n’y a pas de quotas mais on fait attention. Car nous savons qu'au-delà d’un nombre de vidéos, c’est trop et tout devient cacophonique. Après c’est plutôt géré par la production, mais nous savons qu'au-dessus d’une douzaine, quinzaine c’est déjà pas mal. Après tout dépend aussi de la taille des vidéos. Il y a plutôt un quota maximum, il n'y a pas de quota minimum, même si une exposition sur le cinéma sans aucune vidéo cela serait curieux. Après, il y a aussi une question de droit parce que beaucoup d’extraits ça coûte cher. Mais il n’y a pas de règle stricte, tout dépend des expositions.
Une dernière question pour conclure cet échange, pourquoi exposer le
cinéma est important ?
A une époque, le cinéma était un art populaire. C’était vraiment l’art du XXème siècle, cet art qui a fait bouger toutes les foules. Aujourd’hui, nous voyons bien que le cinéma est devenu parfois difficile d’accès pour certaines personnes. Cela demande du temps, de l’argent, un rythme. Aujourd’hui, les séries, la télé, les plateformes peuvent éloigner du cinéma. Je ne dis pas que le cinéma est en danger. Mais son aura a changé et personnellement, je trouve que transmettre l’histoire du cinéma par des expositions qui ont un côté grand public ou artistique est important. Personnellement, je trouve que c’est un défi parce que ce sont des expositions très hétérogènes, c’est un peu particulier et pas toujours évident. Alors c’est un défi à chaque fois de raconter des histoires. C’est très stimulant. Mais avant tout, c’est un art collectif, on peut partager, on peut déambuler à plusieurs, transmettre, donner envie de voir un film, donner envie de faire des films. Et puis personnellement, j’aime le dialogue art et cinéma, cela décloisonne les pratiques. Le cinéma qui dialogue avec l’architecture, avec la peinture, la photo. Quand on va au cinéma, nous pouvons avoir du mal à voir que le cinéma c’est un art total. Alors grâce aux expositions, nous pouvons voir que le cinéma dialogue avec de nombreux arts.
Vous avez réalisé plusieurs scénographies d’exposition sur le cinéma : Bollywood superstars au Musée du quai Branly, Viva Varda à la Cinémathèque française... Exposer le cinéma, c’est assez particulier. Avez-vous une méthode particulière pour la création de ses scénographies ?
La grosse différence dans les expositions de cinéma, c’est que y a des extraits de films et souvent beaucoup. Il faut essayer de trouver un équilibre entre les projections et les objets, les archives, etc… Il y a une difficulté pragmatique qui est de trouver cet équilibre entre les moyens qu’on donne aux projections afin qu’elles soient qualitatives (l’image et le son). Le traitement des sons doit être réfléchi afin qu’ils ne se mélangent pas. Le positionnement des vidéoprojections ne doit pas créer de bouchons dans le parcours, car devant un extrait de film les visiteurs stagnent forcément. L’utilisation de la vidéo impose des contraintes de circulation.
La première question qu’on se pose en construisant la scénographie, c’est comment nous allons découper le parcours et comment nous allons trouver un moyen de mettre en valeur les films tout en laissant de la place pour que les autres expôts respire aussi.
Par exemple, quand nous avons fait l’exposition sur Sergio Leone à la Cinémathèque française, il y avait une salle avec plusieurs costumes, alors nous avons décidé de créer une salle avec une ambiance particulière.
En fonction du cinéaste, nous pouvons imaginer une approche cinématographique plus ou moins mise-en-scène. Par exemple, pour l’exposition Viva Varda, Rosalie Varda (directrice artistique de l’exposition) avait envie de recréer des décors, mais nous (l’Atelier MF), nous avions envie de symboliser, plus que de reconstituer. Alors nous avons fait un juste milieu. Il y a ce curseur de la mise en scène, un curseur qu’on retrouve dans toutes les scénographies. Est ce qu’on présente des expôts de façon neutre, en ce disant que les images parlent d'elles même. Ou au contraire, on se dit qu’il faut mettre les gens dans l’ambiance avec un travail sur la lumière, sur les fonds.. C’est vrai qu’aujourd’hui, le public est en attente d’exposition de ce type.
La première question qu’on se pose en construisant la scénographie, c’est comment nous allons découper le parcours et comment nous allons trouver un moyen de mettre en valeur les films tout en laissant de la place pour que les autres expôts respire aussi.
Par exemple, quand nous avons fait l’exposition sur Sergio Leone à la Cinémathèque française, il y avait une salle avec plusieurs costumes, alors nous avons décidé de créer une salle avec une ambiance particulière.
En fonction du cinéaste, nous pouvons imaginer une approche cinématographique plus ou moins mise-en-scène. Par exemple, pour l’exposition Viva Varda, Rosalie Varda (directrice artistique de l’exposition) avait envie de recréer des décors, mais nous (l’Atelier MF), nous avions envie de symboliser, plus que de reconstituer. Alors nous avons fait un juste milieu. Il y a ce curseur de la mise en scène, un curseur qu’on retrouve dans toutes les scénographies. Est ce qu’on présente des expôts de façon neutre, en ce disant que les images parlent d'elles même. Ou au contraire, on se dit qu’il faut mettre les gens dans l’ambiance avec un travail sur la lumière, sur les fonds.. C’est vrai qu’aujourd’hui, le public est en attente d’exposition de ce type.
Et vous vous positionnez où dans ce type d’exposition ? Vous avez l’air de ne pas vouloir entrer dans des reconstitutions trop fortes ?
J’aime bien les reconstitutions de décors, j’adore faire ça pour certaines expositions. Même hors expositions sur le cinéma en créer des dioramas, par exemple avec l’exposition Sur la piste des sioux. Mais je trouve que parfois, c’est plus intéressant de représenter sans reconstituer de but en blanc. Par exemple, ce que j’aime bien c’est quand on donne l’idée d’un décor de western mais sans le refaire. C'est-à-dire juste par la façon de dessiner un mur, des vitrines, le matériau qu’on va utiliser, une grande photo qu’on va rétroéclairé… On peut créer des ambiances mais sans nécessairement se dire on va refaire un saloon.
Reconstituer de manière plus subtile, par le symbole ?
Oui, c’est ça exactement. Et la pour l’exposition sur Agnès Varda, c’est une exposition avec beaucoup d'archives et de documents. Mais il n’y aura pas de reconstitutions fortes, on a préféré faire des jeux sur les couleurs qui vont donner l'ambiance des époques.
Dans l’exposition Top secret à la Cinémathèque, vous avez voulu faire un clin d'œil aux décors de cinéma avec des cimaises qui représentaient l’arrière des décors de studios ?
Oui exactement, on voulait faire un rappel mais sans être trop dans une reconstitution. Surtout que les commissaires de cette exposition, Alexandra Midal et Matthieu Orléan ne voulaient pas des choses trop réalistes mais en même temps ils aimaient bien les ambiances. Ils étaient d’accord avec moi pour reconstituer des ambiances.
Le médium vidéo dans les expositions obligent le visiteur à changer de posture et de passer de visiteur à spectateur, comment l’appréhendez-vous ? Est ce que vous avez une méthodologie que vous utilisez pour chaque exposition ou chaque vidéo demande une mise en espace particulière ?
Non, j’essaie de trouver des différentes façons de présenter. C’est parfois le découpage qui contraint ça. Nous allons nous demander si c’est possible d’avoir des cadres flottants, des projections à double visionnage… Souvent quand il n’y a pas de son, nous projetons sur les murs. En fait, c’est complètement en relation avec la scénographie qui est pensée dans son ensemble. C’est très important que tout soit lié et que la circulation soit très réfléchie. Dès qu’il y a des vidéos, il faut éviter les salles traversantes. Soit il faut créer un recoin, soit il faut carrément créer une salle à part, dans laquelle on va pouvoir rentrer/sortir sans que cela nuise au flux du public. Mais cela peut être parfois embêtant car on aimerait que certaines vidéos dialoguent avec le reste de l’exposition. Il y a mille façons de faire. Il y a un concept scénographique à choisir et à adopter pour mettre en valeur les vidéos. Parfois les commissaires ont des intentions, il y en a qui voient dans l’espace, qui préfèrent avoir des espaces plus ouverts ou à l’inverse que les choses soient plus séquencées et fermées.